Réforme du code civil et offre de contrat de travail : retour vers le futur !

La chambre sociale de la Cour de Cassation s’est récemment inspirée de la réforme du droit des contrats, issue de l’ordonnance du 10 février 2016 modifiant le code civil, pour préciser sa jurisprudence en matière d’offre et de promesse de contrat de travail.

Ce faisant, la Cour a appliqué les nouveaux principes de la réforme à une affaire et à des faits antérieurs à son entrée en vigueur.

S’agissant de l’application dans le temps de la réforme du droit des contrats, il faut avoir en tête la chronologie suivante :

L’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 est entrée en vigueur le 1er octobre 2016.

Les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne [1].

La loi de ratification de l’ordonnance du 10 février 2016 a été définitivement adoptée le 20 avril 2018, et les modifications apportées par cette loi à l’ordonnance [2] entreront en vigueur le 1er octobre 2018.

Pour partie, les modifications apportées au texte de l’ordonnance de 2016 l’ont été dans un souci de clarification sans remettre en cause les nouveaux principes arrêtés.

C’est ce que précise l’article final de la loi du 20 avril (article 16) en indiquant que « les modifications apportées par la présente loi aux articles 1112,1143,1165,1216-3,1217,1221,1304-4,1305-5,1327-1,1328-1,1347-6 et 1352-4 du code civil ont un caractère interprétatif. »

Pour ces articles, on peut considérer que seules deux périodes demeurent : la période antérieure au 1er octobre 2016 (les contrats conclus avant cette date restant soumis à l’ancien code civil) et la période postérieure au 1er octobre 2016 (les contrats conclus après cette date étant soumis à la loi nouvelle).

Mais pour le reste, c’est-à-dire les articles 1110, 1117, 1137, 1145, 1161, 1171, 1223, 1327 et 1343-3 du code civil, les modifications apportées par la loi du 20 avril 2018 sont plus profondes.

On doit donc considérer qu’il existe, pour ces derniers textes, un « nouvel » état du droit applicable, limité à la période située entre le 1er octobre 2016 (date d’entrée en vigueur de la réforme initiale) et le 1er octobre 2018 (date d’entrée en vigueur de la loi de ratification et des textes modifiés).

Cela étant et pour revenir à notre sujet, les nouveaux articles 1124 (promesse unilatérale) et 1116 (offre de contrat) du code civil, ne sont pas impactés par la loi de ratification du 20 avril 2018 et sont entrés en vigueur depuis le 1er octobre 2016, pour les contrats conclus après cette date.

Mais pourtant la Cour de Cassation, dans ses arrêts du 21 septembre 2017 [3], s’est appuyée sur ces nouveaux articles du code civil de 2016 pour trancher deux affaires où offre et promesse de contrat de travail remontaient à… 2012.

En une phrase, révélant un manifeste souci pédagogique, la Cour de Cassation a ainsi indiqué que « l’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, conduit à apprécier différemment, dans les relations de travail, la portée des offres et promesses de contrat de travail ».

Sur cette base, la Cour a pu ensuite préciser sa jurisprudence en la matière.

La Haute juridiction a d’abord jugé que l’offre et la promesse de contrat de travail doivent toutes deux contenir « les éléments essentiels du contrat » pour pouvoir être opposables.

Ces éléments essentiels sont : l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction.

Ensuite, la jurisprudence de la Cour permet de clarifier la portée de l’offre de contrat de travail, d’une part, et la portée de la promesse de contrat de travail, d’autre part, et les conséquences de leur révocation irrégulière.

S’il s’agit d’une offre de contrat de travail (article 1116 du code civil) : celle-ci ne peut être rétractée, dès lors qu’elle a été adressée à son destinataire, avant l’expiration du délai fixée par son auteur ou avant l’expiration d’un délai raisonnable [4].

Si en dépit de cette règle, l’offre est malgré tout rétractée par son auteur, le contrat de travail ne pourra pas être conclu et la situation se résoudra en dommage et intérêts pour le bénéficiaire irrégulièrement évincé, sans toutefois que l’indemnisation puisse compenser la perte des avantages attendus du contrat (article 1116, al. 3).

Autrement dit, dans le cas de rétractation irrégulière d’une offre de contrat de travail, celui-ci ne s’est pas formé et la rétractation n’est pas constitutive d’un licenciement.

S’il s’agit en revanche d’une promesse unilatérale de contrat de travail (article 1124 du code civil), qui donne à son destinataire une option – c’est-à-dire que le bénéficiaire de la promesse a le choix de conclure le contrat de travail ou pas, dans un délai donné – , et que l’employeur révoque sa promesse avant l’expiration du délai fixé pour la levée d’option, alors le bénéficiaire pourra forcer la conclusion du contrat.

En effet, dans le cas d’une promesse unilatérale de contrat de travail, la Cour juge qu’il ne manque que le consentement du (futur) salarié pour que le contrat de travail existe.

Autrement dit, le « futur salarié » qui subit une révocation irrégulière d’une promesse unilatérale qui lui a été consentie, peut obtenir l’exécution de cette promesse et devenir l’« actuel salarié » de l’entreprise.

Seule solution pour l’employeur s’il veut alors se séparer de cette nouvelle recrue : le licenciement, avec toutes les contraintes que cela implique.

Et s’il ne « force » pas la porte en faisant exécuter la promesse unilatérale, son bénéficiaire peut immédiatement demander une indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, dès lors qu’il est indûment privé de l’option que lui conférait la promesse.

En conséquence, l’employeur avisé qui souhaite conserver le plus de souplesse possible et limiter les risques, préférera l’offre de contrat de travail, qu’il veillera à enserrer dans un délai strictement défini.

Ludovic Landivaux


[1] Toutefois, pour mémoire, les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’article 1123 (pacte de préférence) et celles des articles 1158 (pouvoir du représentant conventionnel) et 1183 (interpellation en matière de nullité) sont applicables dès l’entrée en vigueur de l’ordonnance.

[2] Voir nos commentaires sur la loi du 20 avril 2018 : ici.

[3] Voir les arrêts ici et ici.

[4] On ne saurait que trop conseiller, dans toute offre, d’indiquer un délai parfaitement clair de validité.

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